08 juin 2023
Pour une renaissance de la filière photovoltaïque
Les objectifs de la filière photovoltaïque
08 Le GIEC estime ainsi qu’il s’agit de la solution permettant de contribuer le plus à la réduction nette des émissions de gaz à effet de serre dans le monde à moindre coût d’ici 2030 [1]. Afin d’atteindre la neutralité climatique à horizon 2050 et, à plus court terme, la réduction de 55 % de ses émissions d’ici 2030 par rapport à 1990, l’Union européenne (UE) vise ainsi une capacité photovoltaïque installée de 320 GW en 2025 et de 600 GW en 2030[2], c’est-à-dire une multiplication par trois en 2030 par rapport à 2022 qui a été une nouvelle année record s’agissant des capacités supplémentaires installées (39 GW).
La France disposait quant à elle d’un parc de 16,3 GW à la fin de l’année 2022[3]. L’objectif 2023 de 20,1 GW fixé en 2020 par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) ne sera donc vraisemblablement pas atteint. Même si le rythme annuel des nouvelles installations raccordées augmente ces deux dernières années (2,8 GW en 2021 et 2,4 GW en 2022, contre 1 GW par an en moyenne sur la période 2015-2020), une accélération plus franche est requise pour se situer dans la fourchette de la PPE pour 2028 (de 35,1 GW à 44,0 GW)[4]. De même, atteindre l’objectif fixé par le président de la République en février 2022 à Belfort d’un parc photovoltaïque de 100 GW en 2050 nécessite d’atteindre un rythme moyen d’installation de 3 GW de nouvelle puissance installée par an[5]. Enfin, à l’origine de 7 400 emplois en 2018, le cap fixé à cette filière serait susceptible de créer entre 10 000 et 13 000 emplois d’ici 2030[6].
Les principaux risques et opportunités
Reconstruire toute une filière…
En position dominante au début des années 2000, la filière photovoltaïque européenne a depuis subie de plein fouet la concurrence de fabricants asiatiques capables de produire massivement et à bas coût, avec pour conséquence la fermeture d’usines en Europe et le remplacement par des importations de panneaux quasi-exclusivement fabriqués en Asie (ces importations correspondent aujourd’hui à 2 % du déficit commercial français[7]). La forte dépendance vis-à-vis de pays étrangers s’étend désormais sur toute la chaine de valeur, des matériaux (silicium, verre) et composants (lingots, galettes de silicium, cellules), jusqu’aux modules. Cette chaine de valeur amont est fortement concentrée géographiquement car 96 % des galettes de silicium sont produites en Chine, notamment dans la province de Xinjiang, et plus de 90 % des cellules et modules viennent d’Asie[8], ce qui la rend peu résiliente aux crises. L’AIE souligne ainsi que « la Chine a joué un rôle déterminant dans la réduction mondiale des coûts du photovoltaïque, ce qui a été bénéfique pour la transition énergétique. Mais, dans le même temps, le niveau de concentration géographique des chaines d’approvisionnement mondiales est un défi pour les gouvernements »[9]. Les panneaux photovoltaïques ont ainsi intégré la liste des secteurs « à risque de dépendance stratégique » de la Commission européenne[10]. Cette dépendance stratégique découle d’une forte concentration de la production mondiale en Chine et des possibilités limitées de diversification de l’approvisionnement, y compris sur le territoire de l’Union européenne (UE). Cela se traduit par des risques d’interruption d’approvisionnement et peut même « faire peser un risque sérieux sur la transition climatique et énergétique de l’UE »[11]. Même si l’UE représente un marché majeur du photovoltaïque au niveau mondial, les entreprises européennes ne pèsent que pour une part infime dans la production mondiale. Avec des produits en moyenne 20 à 25 % plus chers que les panneaux chinois, les fabricants français se concentrent ainsi tout particulièrement sur les marchés résidentiel et tertiaire et n’obtiennent qu’une faible part de marché s’agissant de la fourniture de grandes centrales au sol pour la réalisation desquelles le critère prix est primordial[12].
Cette dépendance à l’égard des industriels chinois ne constitue pas un phénomène uniquement européen mais bien une tendance mondiale. Dans ce contexte, la recrudescence des tensions géopolitiques souligne d’autant plus le caractère stratégique de l’approvisionnement en énergie pour un Etat. Face à cela, de plus en plus de pays mettent en place des mesures politiques pour gagner en souveraineté énergétique, c’est notamment le cas des Etats-Unis qui, dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, ont instauré un dispositif de crédit d’impôt permettant de soutenir leurs propres industries en compensant la différence de prix entre un panneau chinois importé et un panneau américain. Ce dispositif conduit ainsi à une réduction par deux des coûts de production de panneaux aux Etats-Unis. D’autres puissances économiques comme l’Inde et la Turquie sont également en train d’augmenter massivement leurs capacités nationales de production.
Face à cette situation, l’effort de reconstitution du capital nécessaire à la résurrection d’une filière photovoltaïque française (financement, foncier, usines, ressources humaines…), dans un contexte des prix de l’énergie qui restent élevés, paraît important. Cependant les bénéfices, y compris économiques sur le long terme[13], sont nombreux et la France bénéficie du fait d’avoir déjà un tissu industriel existant (cf. infra). Le gouvernement français a décidé de fixer un nouveau cap pour l’industrie française et de faire renaître la filière photovoltaïque. La stratégie de la filière photovoltaïque française des prochaines années consistera tout particulièrement à réussir à faire passer ses multiples innovations à l’échelle industrielle, en leur garantissant un débouché sur le marché français dans un premier temps, puis européen dans un deuxième temps. Le projet de règlement de la Commission européenne Net Zero Industry Act [14] devrait permettre de répondre en partie à ces difficultés et ainsi de donner un coup d’accélérateur aux filières européennes au premier rang desquelles la filière française.
…En s’appuyant sur l’innovation
La France dispose de compétences pointues en termes de recherche et développement, que ce soit via un tissu de start-ups ou bien via des organismes comme l’Institut National de l’Énergie Solaire (INES) ou l’Institut Photovoltaïque d’Ile-de-France (IPVF). En ce sens, l’INES travaille tout particulièrement sur la fabrication de panneaux à très faible bilan carbone[15]. En effet, purifier le silicium nécessitant une consommation électrique très important, fabriquer des panneaux dans un pays avec un mix électrique bas carbone comme la France permet de diviser par deux le facteur d’émission de l’électricité photovoltaïque par rapport à une fabrication en Chine[16]. Le poids carbone d’un module est ainsi considéré comme un paramètre important dans les critères de notation des appels d’offres français, caractéristique peu répandue à l’international mais qui pourrait le devenir davantage via l’introduction de critères autres que le prix dans les appels d’offres grâce au règlement Net Zero Industry Act. Cette facette constitue donc un moteur d’innovation de premier plan pour la filière française. En plus d’être un impératif climatique, convaincre l’ensemble des pays de l’Union européenne de suivre cette voie pourrait ainsi favoriser les exportations françaises.
Au-delà de la réduction de l’empreinte carbone, le champ de l’innovation du secteur photovoltaïque est encore vaste : réduction de la consommation de matériaux, conception de panneaux plus légers pour des usages en toiture, travail sur des technologies de rupture… L’Institut Photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF) développe en ce sens un programme de recherche avec le fabricant alsacien de panneaux Voltec pour améliorer les performances, réduire les coûts et améliorer la durée de vie d’un module photovoltaïque en développant notamment des modules tandem silicium et pérovskite à hauts rendements (30 % contre 23 % pour les meilleurs rendements des technologies traditionnelles)[17]. Après huit années de recherches, la commercialisation des premiers panneaux est envisagée pour 2025, avec l’objectif de pouvoir en produire 5 GW par an à horizon 2030. La France, grâce à l’éco-organisme Soren, est également en avance industrielle sur la réutilisation et le recyclage des panneaux en fin de vie : la première ligne de réemploi et de réutilisation de panneaux photovoltaïques usagés en Europe a ainsi été inaugurée fin 2022 en Gironde. Le site sera également le premier au monde à utiliser utilisera un procédé unique permettant de récupérer le verre plat des panneaux[18].
La France dispose également d’entreprises leaders au niveau mondial dans le domaine de l’énergie, avec une forte expertise dans le développement de projets solaires ainsi que dans son intégration au système électrique. Enfin, des fabricants de machines de qualités sont encore présents en Europe et pourront permettre de reconstituer rapidement des lignes de production. Le photovoltaïque est également une filière soutenue par les pouvoirs publics puisqu’elle fait partie des trois secteurs prioritaires identifiés par la stratégie Technologies avancées pour les systèmes énergétiques du Secrétariat général pour l’investissement. Les ambitions industrielles du gouvernement sont claires : d’une part attirer des usines pour produire certains segments stratégiques de la chaine de valeur et, d’autre part, produire a minima 3 GW de panneaux photovoltaïques par an, pour atteindre 100 GW de puissance installée en 2050, permettant de couvrir 100 % du besoin français et 10 % des besoins européens.
La France ne pouvant pas accomplir seule cette transformation, une position européenne sur la sécurisation de la chaine de valeur et la production en UE est essentielle. En ce sens, les aides financières débloquées via les Projets Importants d’intérêt Européen Commun (PIIEC) seront structurantes pour réaliser des projets de gigafactories (Enel en Italie, Meyer Burger en Allemagne, Carbon en France[19]). Enfin et surtout, la renaissance d’une filière photovoltaïque européenne constitue une opportunité inédite de création d’emplois, comme l’indiquait Thierry Breton lors du lancement de l’Alliance européenne de l’industrie solaire photovoltaïque (ESIA) le 9 décembre 2022 : « L’industrie solaire européenne a déjà créé plus de 357 000 emplois. Nous avons le potentiel pour doubler ce chiffre d’ici la fin de la décennie. »
Les recommandations de l’UFE
- Augmenter massivement le soutien public sur des technologies de rupture permettant aux industriels français de se différencier à l’international ;
- Inclure les panneaux photovoltaïques dans le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières, ou, à défaut, renforcer la part du critère carbone dans les appels d’offre ;
- A court terme harmoniser le calcul du taux de valorisation (incluant la matière et l’énergie) des panneaux photovoltaïques au sein des Etats membres de l’UE, en prenant en compte les taux de valorisation des entreprises achetant les matières premières secondaires ;
- A moyen-terme définir des objectifs de valorisation des panneaux photovoltaïques en adoptant une approche matériaux par matériaux, et mettre en place les mesures politiques permettant de les atteindre ;
- Accroître la souveraineté sur la chaine de valeur du photovoltaïque, notamment via un soutien public à la fabrication française de machines à laminer de dernières générations ;
- Poursuivre les simplifications et l’adaptation du cadre régulatoire afin de faciliter le développement de la filière photovoltaïque sur tous les segments ;
- Plaider au niveau européen pour la mise en place d’un soutien accru à la filière photovoltaïque européenne dans le cadre du projet de règlement Net-Zero Industry Act et de la révision des règles relatives aux aides d’Etat.
[1] IPCC, 2022: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA. doi: 10.1017/9781009157926.001
[2] REPowerEU
[3] SDES, « Tableau de bord : solaire photovoltaïque, Quatrième trimestre 2022 », février 2023.
[4] Ces objectifs seront remis à jour en 2024 dans le cadre de l’actualisation de la PPE (horizon 2033) et de la SNBC.
[5] En prenant en compte une durée de vie des panneaux de 20 à 25 ans, le remplacement des panneaux déjà installés implique un besoin supplémentaire d’environ 1 GW par an d’ici la fin de la décennie. Académie des technologies, « Pour le développement de productions industrielles de panneaux photovoltaïques en France et en Europe », janvier 2023
[6] EDEC filière électrique, 2020
[7] Académie des technologies, « Pour le développement de productions industrielles de panneaux photovoltaïques en France et en Europe », janvier 2023
[8] Académie des technologies, « Pour le développement de productions industrielles de panneaux photovoltaïques en France et en Europe », janvier 2023
[9] Le Monde, « L’énergie solaire, grande gagnante de la transition énergétique partout dans le monde…sauf en France », mars 2023
[10] Commission européenne, « EU strategic dependencies and capacities : second stage of in-depth reviews”, février 2022
[11] Commission européenne, « EU strategic dependencies and capacities : second stage of in-depth reviews”, février 2022
[12] La Croix, « L’industrie solaire française veut rayonner face à la Chine », mars 2023
[13] Les prix des équipements pouvant largement augmenter en cas de crise, ces variables seraient mieux maitrisées grâce à davantage d’indépendance vis-à-vis de zones géographiques et de composantes politiques.
[14] Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement d’un cadre de mesures en vue de renforcer l’écosystème européen de fabrication de produits de technologie « zéro net », mars 2023
[15] L’INES a présenté un panneau démonstrateur dont le bilan carbone est de 317 kgCO2eq/kWc en janvier 2023, contre plus de 700 kgCO2eq/kWc pour un panneau fabriqué en Chine.
[16] Base Carbone de l’Ademe. Les panneaux photovoltaïques émettent entre 25 et 44 gCO2eq/MWh produit selon qu’ils soient de fabrication française ou chinoise.
[17] IPVF
[18] L’Usine Nouvelle, « Soren et Envie 2E inaugurent un site de recyclage de panneaux photovoltaïques en Gironde », septembre 2022
[19] Carbon a annoncé le 3 mars 2023 la création de la plus importante usine de création de panneaux photovoltaïques en Europe, à Fos-sur-Mer. L’entreprise vise une capacité de production de 5 GW à horizon 2025 (3 000 emplois directs) pour viser 20 GW en 2030 (10 000 emplois directs). Carbon entend être présent sur une grande partie de la chaine de valeur, de la transformation du silicium purifié en lingot jusqu’à l’assemblage des modules.
Pour une renaissance de la filière photovoltaïque
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