10 novembre 2014
L’Allemagne, dos au mur ?
Jusqu’à présent, l’équilibre offre/demande en électricité en Europe a toujours été maintenu. Mais, pour certains pays, les choses risquent de se compliquer dès cette année, en cas d’hiver rigoureux, et pour beaucoup d’autres, très certainement, à partir de 2016, lorsque les premiers effets des directives européennes visant la fermeture de certaines centrales thermiques se feront sentir. En clair, compte tenu du système électrique de plus en plus interconnecté, la sécurité d’approvisionnement est menacée à moyen terme à la maille européenne. D’où les réflexions en cours actuellement en Allemagne sur les moyens d’améliorer le fonctionnement du marché…
L’exercice de réflexion sur une évolution du marché de l’électricité est délicat pour l’Allemagne et le processus de concertation lancé par la Chancelière Angela Merkel, sur un calendrier qui s’étale jusqu’à fin 2015, montre combien les enjeux sont importants et les jeux loin d’être faits. La semaine dernière a ainsi été rendu public le Livre Vert sur les réformes à apporter au fonctionnement du marché de l’électricité allemand. Comme toujours dans ce type d’exercice qui recouvre des enjeux à la fois industriels, économiques, climatiques et sociaux, l’affaire prend vite une tournure très politique. Et chacun de fourbir ses armes, pour ou contre, une évolution du marché de « l’energy only ». Pas encore une guerre de tranchées mais on n’en n’est pas loin lorsque les passions prennent le pas sur la raison …
C’est quoi le problème ?
Il faut dire qu’un peu partout en Europe, la sécurité d’approvisionnement en électricité est des plus incertaines à moyen terme. Même en France ! Si RTE ne craint pas l’arrivée de cet hiver, en revanche, il fait état, dans son Bilan prévisionnel, d’un déficit de capacité de
1 GW pour l’hiver 2015-2016 et de près de 2GW pour celui de 2016-2017. Pas sûr que les Français, habitués à une fourniture d’électricité de grande qualité, apprécient de subir des coupures en pleine saison hivernale. Au-delà, pour un pays qui doit préserver sa puissance industrielle face à la compétition mondiale, ce type d’épée de Damoclès ne saurait être acceptable. Les raisons de ce contexte européen incertain sont d’ores et déjà connues à défaut d’être maîtrisées et Cap Gemini/Natixis les ont encore rappelées, la semaine dernière, lors de l’actualisation de leur Observatoire des marchés européens de l’énergie : surcapacités de production intermittente décorrélées de la demande et aggravées par le fait que le rythme de déploiement des réseaux ne suit pas la même cadence, (comme en Allemagne par exemple) ; fermeture de 50 GW de centrales gaz d’ici 2016 en Europe ; fermeture de centrales nucléaires en Belgique qui va générer, dès les prochains mois, des soucis d’alimentation ; -70 GW de capacités issues de centrales charbon d’ici 2020-23, compte tenu des normes sur les émissions limites de ce type de moyen de production d’électricité…Et avec les prévisions que fait l’AIE de hausse de la consommation d’électricité à horizon 2020, ce sont 2,5 trilliards de $ d’investissements d’ici 2035 (toujours selon AIE) qu’il va falloir financer.
Le cas de l’Allemagne
De quoi donner le vertige ! Car les professionnels du secteur tout comme les pouvoirs publics des Etats membres savent qu’en l’état actuel, le marché européen de l’électricité ne permet plus de rémunérer correctement les acteurs qui, du coup, ont vu leur situation se dégrader terriblement ces dernières années jusqu’à, désormais, amputer leurs capacités d’investissement dans les infrastructures de production et de réseaux. Les utilities Allemandes sont particulièrement touchées. L’impact de la baisse des prix de gros a en effet amputé, en moyenne, la capitalisation boursière des principaux opérateurs de 30 à 40 % (hors effet crise économique) en 2013 et l’avenir ne s’annonce pas meilleur.
Après avoir entrepris, tambour battant, sa démarche de transition énergétique, l’Allemagne a commencé à prendre la mesure des difficultés à surmonter. D’où, désormais, une réflexion de fond pour analyser différentes options et, parmi elles, les mécanismes de capacité décentralisés. Le Livre Vert du BMWi (ministère fédéral allemand de l’économie et de l’énergie) paru la semaine dernière pointe ainsi, de manière générale, les avantages et les inconvénients de ces dispositifs. Mais alors que ces derniers ont pour vocation de venir compléter le marché « energy only », le Livre Vert semble d’ores et déjà très orienté à leur encontre.
Répondre aux 3 fondamentaux
Parmi certains arguments relevés, celui selon lequel les mécanismes de capacité ne seraient pas nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement. En effet, la libre évolution des prix de l’électricité et, en particulier, l’occurrence de fréquents pics de prix suffiraient à redresser la situation. Outre le fait qu’il est peu probable, même pour des consommateurs allemands déjà habitués à des niveaux de prix très élevés, de parvenir aujourd’hui à faire accepter de fréquents pics de prix de grande ampleur, il est certain qu’aucun business-plan digne de ce nom ne peut reposer sur de tels signaux, totalement aléatoires, pour déclencher des investissements. La France, d’ailleurs, a conçu son dispositif d’obligation de capacité dans la stricte perspective de sécurité d’approvisionnement souhaitée par les pouvoirs publics.
Le Livre Vert affirme aussi que les mécanismes de capacité seraient des dispositifs coûteux pour les consommateurs finaux. L’argument est là encore infondé. Par exemple, dans le mécanisme français, s’il y a un déficit de capacité, le coût pour le consommateur correspondra aux investissements nécessaires pour garantir la sécurité d’approvisionnement. S’il n’y a pas de menace sur la sécurité d’approvisionnement, le prix de la capacité sera nul, tout comme le coût pour le consommateur. En tout état de cause, il n’est pas justifié que ce mécanisme représente un surcoût par rapport à d’autres formes d’organisation du marché
Autre argument du Livre Vert, les mécanismes de capacité favoriseraient les installations de production au détriment de l’effacement et freineraient le développement des EnR. A nouveau, c’est méconnaître les fondements du mécanisme. En France, l’obligation de capacité vise toutes les capacités de production ou d’effacement, de façon équitable, sur la seule base de leur contribution à la sécurité d’approvisionnement.
En réalité, face à l’ampleur des difficultés à surmonter dans les années à venir, il serait stérile de vouloir opposer une solution à une autre. Il faut évaluer objectivement l’apport des différentes composantes du marché (marché « energy-only », mécanisme de capacité, réserve stratégique…) à trois grands fondamentaux structurants pour notre société : une sécurité d’approvisionnement garantie, un accès à l’énergie à un coût acceptable, et une contribution effective à la lutte contre le changement climatique. C‘est précisément l’approche pragmatique que suivent les électriciens français et allemands au travers des travaux communs qu’ils mènent depuis plusieurs mois au sein de leur partenariat UFE/BDEW/DENA.
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