11 mai 2015
Flexi-consommation : d’une bonne idée, évitons les mauvaises solutions !
Depuis quelques mois, une nouvelle proposition en faveur d’une flexi-consommation électrique a été faite par un groupement d’industriels électro-intensifs. Ces derniers suggèrent ainsi d’utiliser un excédent d’énergie qui serait produite, l’été, par les ENR, à un prix relativement bas garanti sur la durée, pour augmenter leur activité industrielle durant cette période estivale. En contrepartie, ils s’engageraient à « effacer » une part de leur consommation électrique en hiver, pendant les périodes de fortes tensions sur le système électrique. Si l’idée est intéressante, il convient néanmoins de ne pas s’engager dans des solutions faussement attractives…
En effet, abordé sous cette forme, le raisonnement est erroné, tout simplement parce qu’il n’y a pas de surproduction, en été, liée aux ENR. Pour autant, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain et soulignons un point positif dans la démarche : c’est la première fois que des industriels proposent, sur une large échelle, une solution qui recherche un jeu « gagnant-gagnant », à la fois pour eux et pour le système électrique, ce qui a longtemps été de règle en France, du début des années 80 à la fin des années 90.
Comment ça marchait jusqu’à présent ?
Dans le « tarif vert » destiné aux industriels – et qui va disparaître fin 2015 – un dispositif économique incitait ceux d’entre eux qui le pouvaient, à :
- allonger la durée d’utilisation de la puissance qu’ils souscrivaient pour faire fonctionner leurs installations industrielles : entre une puissance utilisée sur une courte période de l’année (1000 h) et une puissance utilisée sur une longue période de l’année (8000h), le coût de la puissance était divisé par 3 ;
- consommer plus d’électricité en été qu’en hiver, puisque le coût du KWh consommé pouvait alors être 7 fois moins élevé ;
- « s’effacer », en cas de besoin du système électrique, grâce au dispositif EJP* destiné à couvrir les aléas météo, en amplifiant les signaux de prix évoqués ci-dessus.
Les entreprises étaient donc encouragées à « lisser » leur activité industrielle pour éviter aux producteurs d’électricité d’avoir à investir dans des moyens peu utilisés, les moyens de pointe. Pour cela, ils étaient incités à produire un peu moins en hiver (quand l’électricité est chère) et un peu plus en été (quand l’électricité est beaucoup moins chère). Tout le monde s’y retrouvait : les industriels, qui diminuaient le coût global (puissance et énergie) de leur électricité ; le système électrique, qui voyait allégés ses appels de puissance en hiver, période de tension, et mieux utilisées ses usines de production de base (nucléaire, éolien, solaire qui, lui, en France, est plus productifs en été qu’en hiver !), améliorant ainsi leur rentabilité.
Théoriquement, ce que le tarif peut faire, le marché devrait pouvoir le faire aussi, en mieux. Et la relation « gagnant-gagnant » devrait pouvoir se poursuivre, voire s’amplifier, puisque, avec une bonne organisation, une solution « marché » est plus performante qu’une solution « régulée ».
Une organisation du marché de l’électricité encore insuffisante.
Sauf qu’en l’occurrence, le marché de l’électricité, dans son « design » actuel, ne permet pas cela. En effet, les prix « forward » sur le marché de gros, dit « Energy Only » (et qui n’intègre pas la dimension « puissance »), ne sont pas assez « différenciés » entre l’hiver et l’été, pour engendrer les mêmes incitations que celles existant dans les anciens tarifs. La gestion de la courbe de charge (charge = puissance appelée), stratégique en France, s’en trouve affaiblie. Le design actuel du marché « Energy Only » reflète bien les surcapacités en énergie liées au développement des ENR, aux effets de la crise économique, mais pas assez les tensions sur la puissance liées, en France notamment, à la thermo-sensibilité de notre consommation. C’est d’ailleurs bien pourquoi la France met en place un mécanisme de capacité.
Certes, certains feront remarquer que les prix dits « spot », au jour le jour, reflètent, actuellement, en été, l’abondance de l’offre d’électricité (nucléaire, éolien, solaire…) par rapport à une demande alors réduite puisque l’économie ralentit fortement pendant deux mois, voire s’arrête quasiment en août. Mais ce sont des prix de très court terme, par essence très volatiles. Comment demander alors à des industriels d’investir à cinq ou dix ans dans l’adaptation de leur outil de production, afin de basculer une partie de leur production de l’hiver vers l’été, en réduisant ainsi, structurellement, les appels de puissance en hiver et en utilisant mieux les installations de production disponibles en été ?
Ceci amène à se poser la question des contrats de long terme, question fondamentale dans une industrie telle que l’électricité, à cycle très longs de 20 à 60 ans ! La Commission européenne n’est pas favorable à ce type de contrat de peur de bloquer la concurrence sur le marché de court terme « Energy Only » ou de favoriser les producteurs « historiques ». Néanmoins, ce type de contrat permettrait de sécuriser tous les investisseurs, qu’il s’agisse de producteurs ou de consommateurs. Alors ? Pourquoi ne pas penser à des mécanismes concurrentiels qui pourraient être envisagés pour la mise en place de contrats de long terme ? Cette réflexion doit être intégrée à celle sur le « market design » de demain, au même titre que les mécanismes de capacité.
Poser cette question, c’est admettre que si le marché « Energy Only » remplit son rôle d’optimisation de l’énergie à court terme, il ne permet pas de donner le signal économique de long terme nécessaire aux investissements à la fois du côté de la demande et de l’offre. En effet, rappelons qu’un récent rapport parlementaire soulignait, à juste titre, qu’un marché où les seuls investissements qui se font actuellement sont ceux qui sont « dérisqués » grâce à des mécanismes de soutien et/ou de subvention, n’est pas un marché ! Ici encore, soulignons que c’est bien une des raisons pour lesquelles la France met en place un mécanisme de capacité.
Appliqué à la problématique des flexi-consommateurs, cela conduit probablement à réfléchir à l’éligibilité des actions de long terme – entre cinq et dix ans – de la « gestion saisonnière de la puissance » au marché de capacité : elles sont profondément différentes de l’effacement, puisque l’on reporte, durablement, un bloc de puissance appelé en hiver sur l’été. Une piste à explorer sans aucun doute dans la réflexion globale à mener concernant une meilleure organisation du marché de l’électricité.
Privilégier un marché concurrentiel
C’est pourquoi, l’UFE trouve que l’approche des flexi-consommateurs est intéressante pour poser des questions de fond sur le market-design du marché de l’électricité. En ce sens, elle est d’ailleurs prête à y travailler de manière constructive avec les industriels.
Mais, l’UFE militera toujours et encore, en France et en Europe, pour des solutions « marché libre », avec une organisation appropriée et bien conçue. C’est la seule façon de développer l’innovation, garante de la sûreté et de la compétitivité, économique et climatique, du système électrique.
L’UFE combattra toute solution qui, en multipliant les entorses au marché pour telle ou telle catégorie de producteurs ou de consommateurs, permettrait, une fois de plus, d’échapper à cette réflexion sur le fond du market-design et génèrerait, de fait, de nouveaux déséquilibres.
*Effacement Jours de Pointe
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